[AAC] CorpS en souffrance : Les voies du corps – Université Sorbonne Paris Nord – 9, 10 octobre 2025 – DL 16 mars
Colloque interdisciplinaire et international francophone.
Présentation
Le mot corps, du latin corpus, est traditionnellement pris dans une opposition corps-âme. Il possède ainsi plusieurs acceptions : il désigne non seulement l’organisme vivant, « en chair et en os », mais aussi le corps inanimé, le cadavre.
Malgré la vision et le traitement contemporains qui cherchent à réduire cette opposition, la médecine occidentale tend à considérer le corps dans sa dimension purement anatomique et physiologique. Canguilhem (1974) a interrogé l’idée d’un corps idéal dans la médecine : un corps en pleine santé existe-t-il ? Il met en lumière l’objectivation du corps et la construction de son approche clinique par la médecine. La maladie et la santé font partie intégrante de notre vie, tant sur le plan individuel que social. Un corps malade ne reflète pas nécessairement un dysfonctionnement, tout comme un corps en santé n’est pas forcément exempt de symptômes. Pourtant, les disciplines médicales continuent à avoir l’ambition de définir le corps selon des normes physiologiques strictes. Souvent, elles s’appuient sur une conception normative du corps comme modèle de référence pour les traitements. Les nosographies, par exemple, illustrent cette tendance à vouloir contrôler et normaliser les corps en les classant selon des critères stricts, souvent déconnectés des réalités vécues.
À travers le modèle psychanalytique, Sigmund Freud a initié un nouveau regard sur certains symptômes corporels, en les mettant en lien avec une dimension inconsciente qui échappe. L’être humain se distingue des autres espèces du fait qu’il a un corps qui lui est décerné par la parole. En d’autres termes, « le langage s’enracine dans le corps » (A. Christaki, 2016, p. 35). Il y a un reste qui échappe au langage et à l’inconscient et qui trouve toujours une fonction. L’appareil psychique s’inscrit par des effets du langage qui laissent des traces énigmatiques inconscientes sur lesquelles la méthode clinique se fonde.
Pour autant, la clinique n’est pas uniquement marquée par la logique de la parole. Elle est certes une rencontre entre deux psychismes, celui du patient.e et celui du praticien.ne, mais elle est également une rencontre entre deux corps. Cette jonction entre les deux protagonistes de la rencontre thérapeutique engage des représentants et investissements pulsionnels, ainsi que des éléments issus du corporel faisant irruption.
Les dispositifs de soin psychique permettent l’émergence de représentations, de projections et d’éléments associatifs, verbaux ou non verbaux. Comment saisir la dimension de la souffrance du corps dans la clinique ? Quelles sont les voies pour donner voix au corps ?
Ce colloque a pour but de créer un dialogue à propos des CorpS en souffrance, à travers une approche interdisciplinaire alliant la psychanalyse, la psychologie clinique, la sociologie, l’anthropologie, la philosophie, la littérature, l’art, l’histoire ou la médecine.
Axe 1 – Du corps en souffrance au symptôme psychique
L’axe 1 s’intéresse à la perception et au ressenti corporel du symptôme pour le sujet.
L’origine psychogène des symptômes, dès lors qu’ils troublent le fonctionnement du corps, fait débat et ouvre des épistémologies diverses. En psychanalyse, il est considéré comme « un accident du corps, de la représentation » (Doucet, 2010, p.257). Il est la réalisation d’un désir inconscient, un compromis entre les instances intrapsychiques, un combat entre les défenses et la satisfaction (Freud, 1916-1917). Le symptôme est une production subjective, la plus singulière d’un sujet face au conflit. Cette notion, d’abord très ancrée dans le modèle névrotique, s’est déployée en plusieurs perspectives épistémologiques et nosographiques : celles du traumatisme sexuel, celles du psychosomatique, celles du trauma et les approches psychotiques, entre autres.
Comment le symptôme psychique vient s’inscrire dans le corps, à travers les différentes théories du trauma, du traumatisme ou du traumatique ? Le symptôme comporte-t-il toujours une part traumatique ? Certaines manifestations symptomatiques sont-elles susceptibles de faire trauma chez le ou la patient.e ? Comment le sujet perçoit-il ce qui apparaît comme une effraction ou une rupture psychique ?
Axe 2 – Articulations entre soma et psyché : témoigner de la souffrance des corps à l’hôpital
Cet axe aborde la représentation du corps chez des patients atteints de maladies chroniques à l’hôpital. Ces sujets se trouvent aux prises avec le corps malade, aux douleurs et aux sensations corporelles. Privés de leurs fonctions, ils peuvent être isolés par suite de traitements invasifs. L’importance de l’imagerie médicale, des nouvelles technologies toujours plus sophistiquées imposent une dimension du regard, parfois au détriment de l’écoute dans la relation avec le médecin. Cette domination de l’image dans la prise en charge médicale pourrait bien modifier le rapport du sujet à son corps et favoriser « une médecine sans le corps » (Sicard, 2002).
Ce qui permet au sujet de donner un sens à sa maladie est la mise en parole. La maladie vient rendre tangible le lien entre le sujet et la matérialité du corps. Ainsi, Freud (1923, p.270) dans « Le moi et le ça » écrit : “[…] à l’occasion de maladies douloureuses une nouvelle connaissance de ses organes est peut-être prototypique de la façon dont on arrive d’une manière générale à la représentation de son corps propre.”
Le vécu de la maladie est incarné différemment pour chaque sujet. Quand et comment ce vécu devient-il une souffrance ? Pouvons-nous parler d’effractions de la maladie somatique et comment l’appareil psychique s’en défend-il ? Quelles sont les sorties psychiques face aux variations du corps ?
Axe 3 – Des corps en oppression : faire face aux violences systémiques de la société
Ce dernier axe se propose de faire dialoguer la psychologie, la politique, l’histoire et la sociologie. L’axe invite à réfléchir à des modalités d’engagement du corps dans des scènes contemporaines, afin d’articuler des enjeux subjectifs et politiques. Quel est l’impact du corps social sur le corps psychique et somatique ? La leçon foucaldienne de la biopolitique replace la question du sujet dans ses rapports au pouvoir et aux discours dominants (politique, institutionnel, médical et social).
Le corps reste un objet implicite des sciences humaines et sociales. Il est lieu de fantasmes : le toucher, la peau, l’image, l’esthétique. L’histoire collective nous confronte à la violence des traumas coloniaux, de guerre ou causés par des conditions sociales et économiques. Mussard (2018) souligne que dans l’histoire du fait colonial, le corps est marqué par la “projection du désir du corps colonial”. En prenant en compte ces différentes dimensions, comment se traduisent les rapports entre le sujet et son corps ?
Selon Freud (1921), nous ne pouvons pas penser le sujet sans le lien social. A cet effet, Fanon dans les années 1950-1960 avance l’idée encore d’actualité que le sujet est témoin de la destruction des valeurs culturelles et des modalités d’existence, tel le langage, les techniques, les objets culturels des liens sociaux et territoriaux : “Ces phénomènes ne sont pas seulement des faits matériels mais s’inscrivent dans une dynamique plus large de domination et de soumission qui affecte le psychisme des sujets colonisés. » (Fanon, 2002, p.78).
Comment penser les rapports entre le politique, le social et l’historique ainsi que leurs impacts intrapsychiques et corporels ? Comment traiter de la souffrance du corps en prenant en compte les dynamiques des rapports de pouvoir ? La société actuelle est en débat : comment les événements du passé peuvent-ils influencer la souffrance actuelle du sujet et surtout, la perception de celle-ci?
Modalités de participation
Cet événement est organisé par des doctorantes des laboratoires UTRPP (Unité Transversale de Recherche en Psychogénèse et Psychopathologie) et PCPP (Psychologie clinique, Psychopathologie, Psychanalyse).
Le colloque se tiendra en présence les 9 et 10 octobre 2025, au Campus Condorcet à Aubervilliers.
Les propositions de communications doivent être envoyées au plus tard le 16 mars 2025 via le lien suivant : https://psycorps.sciencesconf.org/
Les résumés, anonymisés, doivent comporter un titre, une présentation de l’objet de la communication incluant la problématique et la méthodologie, ainsi que les principales références bibliographiques abordées. Le texte ne devra pas dépasser 6000 signes (espaces et références comprises).
La sélection des propositions retenues sera effectuée en double-aveugle par le comité scientifique. Les résultats seront communiqués dans les semaines qui suivront.
Comité d’organisation
- Annabelle BEZO – Université Sorbonne Paris Nord, Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie : USPN – UTRPP.
- Cecilia RODRIGUES – Université Sorbonne Paris Nord, Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie : USPN – UTRPP et Universidade de São Paulo USP.
- Chloé MANIN – Université Sorbonne Paris Nord, Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie : USPN – UTRPP.
- Dominique MAGLI – Université Paris Cité, Psychologie clinique, Psychopathologie Psychanalyse PCPP.
- Francesca d’ASCENZO – Université Sorbonne Paris Nord, Unité Transversale de Recherche Psychogenèse et Psychopathologie : USPN – UTRPP.
- Soumaya DAOUSSI – Université Sorbonne Paris Nord : USPN – Pléiade
Comité scientifique
Thamy AYOUCH, Jordie BLANC ANSARI, Fabrice BOURLEZ, Michel CHOCRON, Marcela GARGIULO, Philippe GIVRE, Florian HOUSSIER, Derek HUMPHREYS, Laurie KIRAZIAN, Cristina LINDENMEYER, Malika MANSOURI, Gabriela PATINO-LAKATOS, Élise PESTRE, Marie-Christine PHEULPIN, Gerard RANIER, Séverine RINGANADEPOULLE, Cristiane SEIXAS, Karl-Leo SCHWERING, Amos SQUEVER, Laure WESTPHAL.
Bibliographie
Références
- Canguilhem, G. (1974). Le normal et le pathologique. PUF, édition 2013.
- Christaki, A. (2016). La musique barbare de l’hallucination. Herman.
- Doucet, C. (2010). Événements et phénomènes de corps. Dans L. Jodeau-Belle & L. Ottavi. Les fondamentaux de la psychanalyse lacanienne : repères épistémologiques, conceptuels et cliniques. (Pp. 257-270). Rennes : Presses universitaires de Rennes.
- Fanon, F. (2002). Racisme et culture. Présence Africaine, 165-166, 77-84. https://doi.org/10.3917/presa.165.0077
- Freud S. (1916-17a [1915-17]). 23e leçon : les voies de la formation du symptôme, trad. Fr. F. Cambon, Paris, Gallimard, 1999 ; OCF., XIV, 2000 ; GW, XI.
- Freud S. (1923 b), Le Moi et le Ça, Essai de psychanalyse, trad. fr. J. Laplanche, Paris, Payot, 1981 ; OCF.P, XVI, 1991 ; GW, XIII.
- Freud, S. (1921c/1997). Psychologie des foules et analyse du moi. Essais de psychanalyse. Petite Bibliothèque Payot.
- Mussard, C. (2018). Faire avec le corps dans l’étude d’un territoire de colonisation. Déplacements méthodologiques, hypothèses de travail. Outre-Mers, 398-399, 107-116. https://doi.org/10.3917/om.181.01.
- Sicard, D. (2002). La médecine sans le corps : une nouvelle réflexion éthique. Plon.
Bibliographie indicative
- Ali, Z. & Dayan-Herzbrun, S. (2017). Présentation. Tumultes, 48, 5-13. https://doi.org/10.3917/tumu.048.0005
- Anzieu, D. (1974). Le Moi-peau. Dunod, édition 1997.
- Assoun, P-L. (2023). Psychanalyse de la catastrophe : enjeux anthropologiques et cliniques. PUF.
- Ayouch, T. (2022). Discours et politique de l’identité : à partir de Michel Foucault. Presses Universitaires du Septentrion.
- Chouvier, B., et Roussillon, R. (2008). Corps, acte et symbolisation : psychanalyse aux frontières. De Boeck.
- Ciccone, A. et Lhopital, M. (2019). Naissance à la vie psychique – 3e éd. (3e éd.). Dunod.
- Colin, P. et Quiroz, L. (2023). Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine. La Découverte.
- Dejours, C. (2001). Le corps d’abord. Payot et rivage.
- Dolto, F. (1984). L’image inconsciente du corps. Edition du Seuil.
- Fanon, F. (1952). Peau noire, masques blancs. Essais, édition 2015.
- Fanon, F. (1961). Les damnés de la terre. François Maspero.
- Fassin, D. (2006). Avant-propos. Anesthésie politique et intérêt anthropologique. Dans : Didier Fassin éd., Quand les corps se souviennent: Expériences et politiques du sida en Afrique du Sud (pp. 9-25). La Découverte. https://doi.org/10.3917/dec.fassi.2006.01.0009
- Freud, S. (1926). Inhibition, symptôme et angoisse. PUF.
- Gori, R. (2006). La construction du trouble comme entreprise de normalisation. La lettre de l’enfance et de l’adolescence, 2006/4 no 66. pp. 31-41. https://doi.org/10.3917/lett.066.0031.
- Hooks, B. (2024). Sororité : guérir les blessures psychiques infligées par la domination. Payot.
- Kaës, R. (1995). « Corps/groupe. Réciprocités imaginaires ». Revue de psychothérapie psychanalytique de groupe, vol. 25, no 1, p. 35‑50. https://doi.org/10.3406/rppg.1995.1298.
- Léger, C. (2004). L’immersion du corps dans la psychanalyse. L’en-je-lacanien, 3, 79-91.
- Lindenmeyer, C. (2019). Les embarras du féminin. PUF.
- Mansouri, M. 2013). Révoltes postcoloniales au cœur de l’Hexagone Voix d’adolescents. https://doi.org/10.3917/puf.mans.2013.01.
- Mignolo, W. (2013). Géopolitique de la sensibilité et du savoir. (Dé)colonialité, pensée frontalière et désobéissance épistémologique. Mouvements, 73, 181-190. https://doi.org/10.3917/mouv.073.0181.
- Schneider, M. (2011). La détresse, aux sources de l’éthique. Éd. du Seuil.
- Schwering, K. (2015). Corps d’outrance. Souffrance de la maladie grave à l’hôpital. PUF.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Simon Rozanès (13 février 2025). [AAC] CorpS en souffrance : Les voies du corps – Université Sorbonne Paris Nord – 9, 10 octobre 2025 – DL 16 mars. Doc-Ciham. Consulté le 21 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13bat
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